Pur produit du sport scolaire, Ridha Zitoun raconte avec émotion et ferveur les finales disputées avec le lycée Carnot. «Les vendredis après-midi, c’était la fête du championnat scolaire qui dégageait une atmosphère festive. Pour tous les grands joueurs, cette compétition représentait un passage obligé. Maintenant, il n’y a plus rien de tout cela».
Ayant remporté entre 1975 et 1983, avec l’indétrônable Espérance Sportive de Tunis, deux doublés et quatre triplés, l’enfant de l’Asptt raconte que «rejoindre un grand club et y connaître la joie du sacre a été un vrai conte de fées. Et je l’ai fait sans la moindre contrepartie financière».
Ridha Zitoun, parlez-nous d’abord de vos débuts dans le handball
Ma première licence, je l’ai signée pour l’Association sportive des postes, télégraphes et téléphones de Tunis (l’Asptt) en 1962. J’étais encore minime. Il faut dire que ma passion, c’était le handball plutôt que le football, d’autant que j’habitais le quartier de l’Asptt, Rue d’Artois à côté du TGM. Mon père Amor tenait la buvette du complexe de l’Asptt. C’était un joueur de pétanque.
Je pratiquais deux sports en même temps, les règlements de l’époque l’autorisant: le hand avec les Postiers, et le basket-ball avec le Club Sportif des Cheminots. J’ai d’ailleurs trois sœurs qui ont pratiqué le basket au CSC.
J’ai fini par choisir le hand. Sur la photo immortalisant notre doublé de 1962, après la finale remportée aux dépens de l’Espérance de Tunis de Moncef Hajjar, j’étais encore un gamin, et je figure juste à côté du gardien postier Hassen Mejri. Et c’est en 1968 que j’ai disputé mon premier match seniors. J’étais encore cadet, et j’ai dû être surclassé. Avec les catégories des jeunes de l’Asptt, nous avons remporté tous les titres possibles.
A quel poste avez-vous évolué ?
Pivot, et occasionnellement ailier. Un bon pivot doit avoir la vitesse, l’agilité, la technique et le courage pour pouvoir supporter les coups.
Quels furent vos entraîneurs ?
Abdellatif Telmoudi, des minimes jusqu’aux seniors au sein de l’Asptt. C’était un père spirituel, un formateur hors pair qui ne nous pardonnait aucun écart de conduite. Pourtant, j’étais genre forte tête. A l’Espérance de Tunis, Hachemi Razgallah, Habib Touati, Abdellatif Telmoudi qui a rejoint le club «sang et or» en provenance de l’Asptt…
Et vos dirigeants ?
Belgacem Daghri, Brahim Mechri, Zouheir Belakahal qui fit les beaux jours des Postiers. Moncef Ben Yahia à l’Espérance.
Quels furent vos adversaires directs les plus coriaces ?
Lassaâd Chabou (CSHL), Moncef Hajjar et Khaled Achour (EST), et Hamadi Khalladi et Sadok Baccouche (CA). Ils alliaient la force et la virilité.
Dans quelles conditions avez-vous rejoint l’Espérance de Tunis ?
La veille du départ de la sélection nationale pour disputer les Jeux méditerranéens d’Alger, en 1975, Mounir Jelili m’a poussé à signer pour son club. Pourtant, quelques jours plus tôt, le président du Club Africain, feu Azouz Lasram, qui était un père spirituel pour moi, m’avait proposé de signer pour le CA. J’ai opposé un refus poli. En tout cas, entre 1975 et 1983, j’ai vécu des moments exquis avec le club de Bab Souika.
Qu’avez-vous fait pour contourner les règlements ?
Mon transfert n’étant possible qu’après deux saisons d’inactivité en Tunisie, j’étais parti en Belgique où j’ai porté les couleurs de Charleroi (D1). J’étais professionnel, certes, mais pour arrondir les fins de mois, j’entraînais en parallèle un club de deuxième division belge, le Pays Noir.
En partant de l’Asptt à l’EST, qu’est-ce qui a changé pour vous ?
L’Asptt reste une école de handball. Dès le départ, j’en étais le capitaine. Déjà, en 1971-72, nous avons terminé le championnat en deuxième position, juste derrière l’EST. La saison d’avant, c’était le Stade Nabeulien qui avait terminé dauphin. Il nous a, en quelque sorte, inspirés car nous étions pratiquement d’une même dimension, c’est-à-dire deux outsiders aux dents longues. Quand vous consultez la liste des joueurs qui ont porté la casaque de l’EST, vous en trouvez beaucoup qui viennent de l’Asptt : Hechmi Razgallah, Mohamed Lassoued, Habib Yagouta, Touati, Nejib Glenza, Rached Rakrouki, Ridha Zitoun, et j’en passe… Razgallah, j’allais l’avoir comme entraîneur à l’EST. Tout comme Haj Abdellatif Telmoudi qui m’avait entraîné à l’Asptt. Bref, rejoindre un aussi grand club que l’EST, jouer avec les Naceur Jeljeli, Mounir Jelili, Moncef Besbès, Faouzi Sbabti, Khaled Achour, Rachid Hafsi… cela a été pour moi une belle histoire.
En signant pour l’EST, combien avez-vous gagné ?
Je peux me vanter d’avoir signé à l’Espérance sans aucune contrepartie financière. Personne ne peut dire de moi que je suis un mercenaire. L’EST m’a tout de même donné la notoriété. Pourtant, sans la parenthèse des deux années passées en Belgique, j’aurais sans doute participé avec l’équipe nationale aux Jeux olympiques 1976 et 1980. Depuis mon départ en Belgique, on ne me convoquait plus parmi le Sept national.
Comme une dette, vous avez terminé votre carrière à l’Asptt ?
Oui, je l’ai promis à la famille postière. En 1983, j’y étais revenu pour faire remonter l’Asptt en Nationale «A» avant de raccrocher définitivement. A 31 ans, il était temps. De notre temps, on jouait sans trop de suivi et de contrôle médical. Pourtant, on s’entraînait et on jouait sur terre battue. Avec la pluie, le ballon de handball devenait aussi gros et lourd que celui du football.
Comment était le derby ?
Une fête totale. L’amitié retrouvait ses droits après une heure de tension et de rivalité sans merci contre notre premier adversaire. Sbabti et Besbès faisaient la différence. En arrivant dans le club, Mounir Jelili avait déjà eu son problème cardiaque. Je l’ai d’ailleurs visité à Paris alors qu’il se soignait.
Quel est votre meilleur souvenir ?
Les deux titres de champion scolaire cadets remportés au sein de l’équipe du Lycée Carnot. Dans les championnats scolaires, il régnait une ambiance de grande fête. Le vendredi après-midi, c’était sacré. On disputait les matches entre lycées. Pour tous les grands joueurs, cette compétition représentait un passage obligé. Maintenant, il n’y a plus rien de tout cela.
Et le plus mauvais ?
La frustration de la défaite injuste essuyée en finale du championnat arabe des clubs champions 1978-1979 à Manama, capitale du Bahrein. Nous jouions contre les Saoudiens d’Ahly Jeddah où évoluaient Faouzi Sbabti et Raouf Ben Samir. L’arbitre syrien a tout fait afin que l’Espérance perde cette finale.
En 1972, vous avez été de l’expédition des Jeux olympiques de Munich. Des Jeux pas comme les autres, au fond…
Oui, d’abord parce qu’ils furent les premiers JO de cette dimension-là. Ensuite, parce qu’ils furent marqués par l’attaque palestinienne contre la délégation israélienne. Nous étions en face du pavillon israélien, nous avons tout suivi en direct. Un film d’horreur pour des Jeux merveilleux !
Quelle différence trouvez-vous entre le hand d’hier et d’aujourd’hui ?
Je dois reconnaître que le niveau a énormément évolué. Les moyens investis, aussi. Notre génération ne savait pas calculer, nous jouions par amour du hand. Notre honneur était en jeu. Une prime de 50 dinars nous transportait de bonheur. La récompense suprême dont nous rêvions, c’était un bon repas dans un restaurant et un ticket de cinéma. Maintenant, les joueurs, devenus des professionnels, gagnent des fortunes. L’amélioration de l’infrastructure a permis une évolution spectaculaire du jeu. On attend que la sélection décolle quand elle participe au championnat du monde. La matière existe. Il suffit de savoir l’utiliser à bon escient.
Parlez-nous de votre famille…
En 1982, j’ai épousé Marie-José. Nous avons deux enfants: Omar, master de finances et gestion, et Skander, diplômé dans le management hôtelier.
Enfin, quels sont vos hobbies ?
Je ne vais jamais dans un café. D’ailleurs, je déteste l’odeur du tabac et de la chicha, préférant rester chez moi pour regarder du sport à la télé. Je suis Intériste pure souche depuis le temps de Fachetti, Mazzola, Burgnich, Suarez, Jair, Sarti et tutti quanti… J’aime aussi la musique classique et la variété italienne, Adriano Celentano en tête. Je suis profondément marqué par la culture italienne. En effet, ma mère Anna, décédée il y a onze ans, est Italienne. Pourtant, elle n’était jamais venue dans un stade suivre mes matches.